Avocate des parties civiles en charge du dossier aux côtés de mon confrère Mourad Battikh, cet article est l’occasion de revenir sur certaines notions de droit autour de ce dossier :
- La loi Badinter et le processus d’indemnisation des victimes de la circulation
- Le statut du fœtus et la qualification d’homicide involontaire
- Les enfants victimes de traumatisme crânien
- La loi Badinter et le processus d’indemnisation des victimes de la circulation
En France, en cas d’accident de la circulation, il existe un dispositif d’indemnisation mis en place, établi et régi par la loi n°85-677 du 5 juillet 1985 dite « LOI BADINTER ».
Afin de faciliter au mieux la compréhension des conditions d’application de la loi BADINTER, nous avons décidé d’en simplifier l’exposé. Il faut donc :
- Un accident de la circulation ;
- Un véhicule terrestre à moteur (VTAM) ;
- Un conducteur ou un gardien du VTAM ;
- Un dommage imputable à l’accident.
Il existe des possibilités d’exonération en cas de faute de la victime et à ce titre, il convient de distinguer selon que la victime était ou non conductrice au moment de l’accident.
Victime ayant la qualité de conducteur : il pourra être retenu la faute simple / volontaire ou encore inexcusable de la victime afin de limiter ou d’exclure son droit à indemnisation.
Victime n’ayant pas la qualité de conducteur :
– Victime non conductrice a plus de 16 ans ou moins de 70 ans OU dans un état de santé non déclinant : le responsable ne pourra s’exonérer de sa responsabilité que s’il établit que la victime a commis une faute inexcusable cause exclusive de l’accident ou un fait volontaire ;
– Victime non conductrice a moins de 16 ans ou plus de 70 ans OU s’est vu reconnaitre un taux d’incapacité permanente au moins égal à 80% : le responsable ne pourra s’exonérer que si la victime a commis un fait volontaire.
Par la suite, et en termes d’étapes à suivre en cas d’accident de la route :
– Effectuer la déclaration d’accident : information de l’assureur de la victime d’un accident de la circulation ayant entraîné une atteinte à la personne ;
– Courrier de l’assureur : prise de contact de l’assureur avec la victime pour informer cette dernière de ses droits, sous peine de non-recevabilité de l’éventuelle transaction à venir dont notamment le droit de se voir communiquer le procès-verbal d’accident, la possibilité de se faire assister par un médecin en cas d’examen médical ainsi que par l’avocat de son choix, information du délai imparti pour faire une offre provisionnelle ou définitive (après consolidation) etc ;
– Information de l’assureur par la victime : Sur demande de l’assureur, la victime (ou son avocat) doit communiquer les données d’état civil, l’activité professionnelle, le montant des revenus professionnels de la victime, la description des atteintes à sa personne accompagnée d’une copie du certificat médical initial, la description des dommages causés etc ;
– L’examen médical de la victime : l’assureur doit aviser la victime 15 jours au moins avant l’examen médical de l’objet, de la date et du lieu ainsi que du nom de l’assureur pour le compte duquel cet examen est diligenté. L’assureur doit informer la victime qu’elle peut se faire assister d’un médecin de son choix ainsi que d’un avocat ;
– L’offre d’indemnisation par l’assureur, plusieurs cas de figure :
*La responsabilité de l’auteur et de l’accident n’est pas contestée ET le dommage est entièrement quantifié –> l’offre d’indemnisation doit intervenir dans les 3 mois à compter de la demande d’indemnisation ;
*La responsabilité de l’auteur de l’accident est rejetée ou non clairement établie OU le dommage n’est pas entièrement quantifié –> l’assureur a 3 mois à compter de la demande d’indemnisation pour motiver son refus de faire une offre d’indemnité ;
*En tout état de cause, l’assureur dispose d’un délai de 8 mois à compter de la déclaration d’accident pour présenter à la victime une offre d’indemnisation –> L’offre a un caractère provisionnel si l’assureur n’a pas été informé de la consolidation de la victime dans un délai de 3 mois à compter de l’accident (le délai de 5 mois restants commence à courir à compter de la consolidation de la victime) ;
*En tout état de cause, le délai le plus favorable s’applique à la victime.
Il existe des cas de prorogation ou de suspension de ces délais, ainsi que des conditions devant être respectées par l’assureur lors de la formulation de l’offre.
Par conséquent, il est crucial pour la victime d’un accident de la circulation de se faire accompagner par un avocat en dommages corporels afin d’évaluer au mieux le dossier et d’éviter de commettre certaines erreurs de départ, pouvant causer une réduction de son droit à indemnisation.
- L’enfant à naître et la légalité pénale
Le 29 juin 2001, un arrêt est rendu par l’assemblée plénière de la Cour de cassation, posant le principe selon lequel : « le principe de la légalité des délits et des peines, qui impose une interprétation stricte de la loi pénale, s’oppose à ce que l’incrimination prévue par l’article 221-6 du code pénal, réprimant l’homicide involontaire d’autrui, soit étendue au cas de l’enfant à naître dont le régime juridique relève des textes particuliers sur l’embryon ou le fœtus ».
Le 25 juin 2002, la chambre criminelle de la Cour de cassation a été amenée à préciser la jurisprudence de 2001, dans le cas d’un médecin ayant causé par sa faute le décès d’un enfant au cours de l’accouchement. Alors que « l’enfant était à terme depuis plusieurs jours (…) et avait la capacité de survivre par lui-même » comme l’avaient souligné les premiers juges, la Cour de cassation casse l’arrêt ayant retenu l’homicide involontaire à l’encontre du médecin, cassation intervenue au visa de l’article 111-4 du code pénal. La Cour de cassation exclut donc le seul critère de viabilité pour retenir la qualification d’homicide volontaire : « le principe de la légalité des délits et des peines qui impose une interprétation stricte de la loi pénale s’oppose à ce que l’incrimination d’homicide involontaire s’applique au cas de l’enfant qui n’est pas né vivant ».
En d’autres termes, il ne suffit pas que l’enfant à naître soit viable. Il faut que l’enfant à naître soit né viable mais aussi, vivant !
Ce faisant, deux hypothèses doivent être distinguées :
- Le fœtus décède in utero à la suite de l’accident, et naît mort et pourtant viable : la qualification d’homicide involontaire est alors exclue ;
2. Le fœtus naît vivant et viable avant de décéder en raison des conséquences de l’accident : la qualification d’homicide involontaire peut être retenue car l’enfant, né viable ET vivant, a donc reçu la personnalité juridique avant son décès.
Un enfant est considéré comme viable dès la 22ème semaine d’aménorrhées de grossesse de la mère.
Un tel positionnement légal au sein de notre droit français est contraire, non seulement au constat d’une réalité scientifique (l’existence viable d’un enfant à compter de 22 semaines d’aménorrhées), mais aussi à la réalité subie par d’innombrables victimes d’accidents de la circulations, pourtant non reconnues comme telles…
Ce fût le cas, dans l’affaire Palmade, pour la petite Solin, enfant dont était enceinte la passagère du véhicule… née viable mais morte des conséquences directes de l’accident…Pourtant, le principe de réparation intégrale des victimes, sans perte ni profit, devrait notamment pousser à la reconnaissance de la personnalité juridique de l’enfant à naître, à compter du seuil de viabilité.
L’affaire Palmade, comme tant d’autres au sein de nos tribunaux concernant les mêmes faits, met l’accent sur l’impérieuse nécessité d’un renforcement législatif sur la reconnaissance juridique de l’enfant à naître.
- Le traumatisme crânien de l’enfant
Un traumatisme crânio-cérébral (autrement appelé « crânien ») survient lorsque le tissu cérébral est détruit ou ne fonctionne plus de façon adéquate, à la suite d’un choc entre le cerveau et la boîte crânienne. Il peut également être causé par une fracture ouverte, un objet pénétrant ou par un mécanisme d’accélération ou de décélération rapide.
Chez l’enfant, le cerveau est en cours de constitution et donc par nature plus fragile qu’un cerveau adulte. Les séquelles relatives à un traumatisme crânien chez l’enfant sont parfois immédiates mais leur découverte ne se fait que plus tardivement… C’est ce que l’on appelle les « préjudices invisibles ». Le degré d’atteinte de la conscience est évalué grâce à l’échelle de Glasgow (de 3 à 15).
Plusieurs degrés de traumatismes crâniens existent :
– Traumatisme crânien léger : score Glasgow compris entre 13 et 15
– Traumatisme crânien modéré : score Glasgow compris entre 9 et 12 ;
– Traumatisme crânien grave : score Glasgow égal ou inférieur à 8.
La manifestation de ces préjudices bouleversent fortement l’environnement social et familial de la victime notamment par une irritation excessive et imprévisible, des difficultés pour s’exprimer etc.
Les séquelles peuvent être d’ordre neurologique (troubles de la mémoire, troubles comportementaux, troubles de l’attention, troubles de l’exécution, troubles de la communication), d’ordre somatique (fatigue, céphalées, sensations vertigineuses, intolérance au bruit ou à la lumière, troubles du sommeil), d’ordre psychiatrique (syndrome de stress post-traumatique, troubles dépressifs, troubles de la sexualité etc).
Ce faisant, et afin de pouvoir mesurer pleinement l’ensemble de ces préjudices et handicaps invisibles, il est indispensable que l’expertise diligentée prenne pleinement en considération la victime au sein de l’ensemble des sphères composant son environnement. Le suivi des tâches quotidiennes devra être finement et consciencieusement rapporté et consigné, et un bilan situationnel effectué. De même, la mission d’expertise de l’expert devra nécessairement être adaptée au cas du traumatisé crânien enfant.
La stratégie thérapeutique doit être établie avec des objectifs prédéfinis, d’autant plus que la majorité des enfants victimes de traumatisme crânien grave sont polytraumatisés, ce qui fût notamment le cas pour l’une des victimes dans l’affaire Palmade.
Il est donc primordial que les victimes soient correctement représentées, par des avocats compétents en dommages corporels permettant de prendre en compte l’entière réalité des dommages subis, pour une réparation intégrale.